Abbaye aux hommes.

Caen, mai 1987.

Il est là, le seul conquérant de la Grande Bretagne, guerrier, gestionnaire, créateur du plan terrier anglais, le Domesday Book, et donc le premier à décrire la société terrienne de la grande île.

Il est là, le fils du Magnifique et d’Arlette, lavandière de petite extraction ; lui dont la vie, dès l’enfance, fut environnée de menaces, de meurtres, de sang et de fureur.

Il est là, le créateur de la première réserve écologique d’Europe, la New Forest – réserve essentiellement consacrée, il est vrai, à la chasse royale.

Il est là celui qui apporta au rude langage saxon les mots du français rendus nécessaires par ces changements de vie et de gouvernance.

Il est là, celui à qui le pape imposa de construire ce qui devait être sa dernière demeure, et un peu plus loin l’autre abbaye, celle des femmes, pour expier d’avoir fait de sa cousine Mathilde sa femme.

Guillaume devenu William, il est là, le Conquérant.

Les remparts de Carcassonne.

Carcassonne, 10 septembre 2008.

Dans la capitale de l’Aude on a pris l’habitude des contradictions ; mais la plus ancienne, c’est celle qui a longtemps duré entre la Cité haute, lieu du pouvoir, et la Bastide basse, lieu de relégation des travailleurs, des commerçants, des bourgeois enrichis par l’industrie drapière qui se dotèrent d’un sénat. Pendant ce temps la décadence gagnait la Cité, s’y installaient des populations pauvres, et proliféra un habitat désordonné considérant souvent la Cité comme une carrière de pierres.

La contradiction la plus terrible fut peut-être, poussée ici à son paroxysme, la fracture religieuse entre catholiques et cathares – qui prit rapidement un tour féroce -, puis entre catholiques et protestants – qui ne fut pas moins sanglante.

Mais aujourd’hui, les gens de Carcassonne se rassemblent dans l’amour pour la belle enceinte de la Cité, qui lui a fait mériter l’inscription au Patrimoine de l’Humanité. Relevée et complétée par Viollet-le-Duc, la ville doit beaucoup au premier inspecteur général des Monuments Historiques, Prosper Mérimée.

Il fut de bon ton de gloser sur la prétention et l’inculture de Viollet-le-Duc ; en réalité son intervention fut décisive pour la sauvegarde délicate de la fortification (il reconstruisit moins de 15% du monument) et pour le message pédagogique de cette sauvegarde. Le culte des ruines à la Hubert Robert ne sert pas toujours le goût d’un peuple pour son passé.

Merci Viollet-le-Duc.

Saint Paul de Vence derrière les iris.

Vence, 8 mars 2012.


La Côte d’Azur ruisselle de couleurs ; ici il n’y a pas de saison grise.

En décembre les fleurs disparaissent pendant quelques semaines ; puis, dès que la froidure s’allège, c’est le retour du mimosa, la fleur fragile et odorante emblématique de la région. Quelques autres fleurs jaunes donnent avec lui aux mois de janvier et février leur couleur de miel.

Puis en mars arrivent les fleurs bleues et violettes : l’iris dans les endroits frais, les agapanthes, puis la glycine, le plombago, la bougainvillée contre les vieux murs ensoleillés.

Enfin s’ouvrent à la moitié du printemps les buissons multicolores des lauriers-rose, sauvages ou disciplinés dans les haies, arc-en-ciel profus dont le feuillage peut être mortel. La beauté parfois est un piège.

Un iguane au Parc Phoenix.

Nice, 9 septembre 2008.

Herbivore tropical, l’iguane est le plus gros des lézards après les varans ; il peut atteindre un mètre cinquante et quatre kilos. D’un naturel calme – sauf quand un concurrent envisage de s’établir sur son territoire – il s’est introduit dans le groupe de ce que l’on appelle les NAC, les Nouveaux Animaux de Compagnie. Songez que l’animal consacre, au long d’une vie d’une douzaine d’années, environ 3% de son temps à se reproduire, 1% à manger et, sans recourir à aucun syndicat, 96% à ne rien faire…

Ceux du terrarium de Nice ne sont visibles que par hasard car ils sont de la couleur de la végétation, et quand ils bénéficient de la chaleur qui leur convient (entre 29 et 39°), ils observent une immobilité parfaite. Néanmoins si vous ne le voyez pas, lui vous voit très bien.

Grossissez l’image et admirez sa peau et ses reliefs délicats : c’est de l’art. D’ailleurs on sait que l’art est d’abord dans la Nature.

Le Mont.

Le Mont Saint Michel, 24 septembre 2007.

Que dire sur le Mont qui n’ait été déjà dit et redit ?

C’est au point qu’en face, à l’extrémité des Cornouailles, les anglais ont installé sur l’ilot qui borde la baie de Penzance un autre Saint Michael’s Mount

Le théâtre de Cocteau.

Cap d’Ail, 6 novembre 2003.

Le Centre Méditerranéen d’Etudes Françaises – une sorte d’Alliance Française dont l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse est un partenaire privilégié – a été fondé en 1957 à Cap-d’Ail par Jean Moreau. Activiste de la culture, de la pédagogie, de la jeunesse et de la diffusion de la langue française, ce géant entreprenant et infatigable invita un jour Cocteau (qui demeurait alors au Cap-Ferrat) à assister à la représentation par une équipe de jeunes d’une pièce de Lorca. La représentation eut lieu dans une petite salle rabougrie.

Cocteau se prit d’amour pour le Centre, installé largement en bord de mer, et pour ses activités ; il proposa à Jean Moreau d’y édifier un théâtre absolument méditerranéen, entre mer et pins parasol. Construit à moindre frais et dans des conditions qu’on dirait aujourd’hui citoyennes et participatives, le théâtre ne fut que le premier pas d’une collaboration constante et assidue de Cocteau avec le Centre.

Jean Cocteau était ce qu’on appelle un « touche-à-tout » disponible pour tous les arts, toutes les fêtes, tous les travaux de l’intelligence. Littérature, théâtre, cinéma, décoration, musique, il a effectivement touché à tout. Il a beaucoup donné à la Côte d’Azur, qui lui a édifié à Menton un musée hélas ! submersible.

Cocteau reste un des représentants d’une époque, l’entre-deux-guerres, disparue. Son art joli date un peu. Il faut cependant l’aimer car c’était un ami de Proust.

Gallerande.

Luché-Pringé, 8 mai 2005.

Réellement, un château ? Vous êtes sûrs ? Pas une construction réalisée par les studios Disney ? Ces mâchicoulis suspects, ces tours remarquablement cylindriques, ces toitures en poivrière…

Eh bien non, Gallerande n’est pas un château Potemkine. Il date du XIème siècle.

Cette forteresse est restée dans la même famille pendant cinq cents ans (avec une éclipse d’une demi-douzaine d’années, où il fut abandonné aux anglais), jusqu’à la Révolution ; après l’Empire il est resté dans la famille de Sarcé pendant cent cinquante ans, jusqu’à nos jours, jusqu’à la mort de la comtesse Anne de Ruillé.

Etonnante personne, cette comtesse. Passionnée de tauromachie, elle quittait souvent son château de village pour une plaza de toros espagnole ou mexicaine, puis revenait à ses affaires. Au titre de ses affaires une place éminente était faite à l’ordre de Malte, dont la comtesse était membre et à qui, à sa mort, elle légua le château.

Mais voici qu’à sa mort on trouva, entre son lit et la cloison, dissimulé aux yeux de tous, un tableau de Georges de La Tour, Saint Thomas à la pique, pour lequel une souscription fut lancée par le musée du Louvre qui rapporta 32 millions de francs. Le château fut ensuite vendu par l’Ordre à un riche américain.

On ne le visite pas ; pas plus aujourd’hui que sous la comtesse, et pas plus sans doute que pendant la guerre de Cent ans.

Ballons.

Vivoin, juillet 2002.

La ville de Vivoin, avec le concours du Conseil Général, a bien fait les choses. On prévoyait que juillet serait exempt de pluies et que, la moisson faite, on disposerait d’une vaste éteule pour y rassembler les montgolfières ; on ne s’était pas trompé. Les voici donc en début d’après-midi, alanguies sur le chaume, prêtes à prendre leur envol sous une brise légère, légère…

Ici et là les rudes nacelles d’osier s’emplissent de voyageurs, le souffle rauque des brûleurs gonfle les enveloppes colorées. Des voitures se préparent à prendre la route pour récupérer le ballon que l’habile aérostier aura fait atterrir dans un parc, sur une prairie, près d’un jardin. Une famille stupéfaite aura ainsi vu débarquer en silence près de chez elle cet équipage affairé sorti d’un livre de Jules Verne.

Contre-jour à l’Annonciade.

Saint Tropez, 9 mars 2008.

Le charmant petit musée de Saint Tropez donne sur le port ; il est à un jet de pierre des cafés à la mode et des terrasses submergées d’estivants. On y trouve ce qui a fait le tournant du siècle dans la peinture française : d’abord Signac et donc le pointillisme, quelques nabis et leurs à-plats vigoureux, Cross qui s’appelait Delacroix et quelques autres. L’Annonciade est un petit musée frais et riant, qui donne à voir sans apparat ni prétention.

Devant la fenêtre une nymphe – une naïade plutôt – de Maillol se montre sans gêne ni ostentation dans sa superbe nudité. Il n’y a que de l’innocence dans cette belle, de l’élégance dans son attitude, de la santé dans ses formes pleines. Dans quelques années le vieux sculpteur de soixante-treize ans trouvera définitivement son inspiration chez une adolescente de quinze ans, Dina Vierny.

Cette sculpture, c’est l’alliance de la simplicité et du réalisme. Loin de l’humour grinçant de Botero, on comprend pourquoi cette figure a inspiré Henry Moore.

Château et vaches en pré.

Bazouges, 8 mai 2005.

Le château de Bazouges a presque les pieds dans l’eau ; il est habillé comme un paysan – c’est une tenue qui ne déplaît pas aux plus titrés des aristocrates. Il s’est enfoncé dans sa campagne en bougonnant, il a fui les artifices de la ville et a refusé de prestigieuses orangeraies pour s’entourer de communs cagneux, mais robustes et travailleurs.

Ses hautes toitures précieusement entretenues pourraient servir de greniers ; quelques fenêtres effilées montrent qu’il sait ce qu’est l’élégance même s’il n’en fait pas étalage, contrairement à ces oisifs de cour pour qui il n’a que du mépris. Dans le passé il a applaudi les physiocrates, et certainement il aurait accueilli Jovellanos avec plaisir.

Il tient pourtant à ce que son goût de la terre et de son peuple ne soit pas confondu avec la bassesse du démagogue ; ses mâchicoulis disent son ancienneté et sa noblesse, il prendrait les armes s’il l’estimait nécessaire.

En attendant il surveille du coin de l’œil quelques vaches qu’on ne lui a pas confiées mais dont il apprécie la présence. Le château de Bazouges est un vrai noble, mais c’est aussi un cultivateur consciencieux.